J’ai encore en tête un article, paru dans LE MONDE au début de l’année 2016, faisant état des imperfections flagrantes du système de traitement de la souffrance au travail en France.

L’analyse était, à mon sens, fort pertinente à tous égards, mais les auteurs de l’article, psychologues du travail, semblaient se plaindre de recevoir des patients dont les problèmes n’étaient pas de leur ressort. L’environnement professionnel étant responsable, il leur semblait abscons de faire appel à un psychologue pour traiter un patient puisque la cause était extérieure à celui-ci : « …en France, quand on est victime d’une injustice épouvantable au travail… on demande à aller chez le psy ! » écrivait l’auteur avec indignation.

Le constat d’impuissance qu’ils expriment et les solutions qu’ils apportent me semblent discutables : « Le problème n’est pas médical, il est lié au travail. Je préfère la rupture conventionnelle : au moins, c’est le salarié qui la demande… », comme prise en compte de la réalité du patient, on peut dire que cela peut sembler quelque peu expéditif…

En d’autres termes, la réalité collective prime-t-elle forcément sur la réalité personnelle ?

 Une femme est venue me voir, la cinquantaine, gardienne d’immeuble de son état, mariée à un maçon. Cette femme me décrit une réalité pour le moins compliquée à vivre : mari alcoolique et violent, d’où une ambiance familiale désastreuse, une femme dépressive, emprisonnée dans une relation qu’elle n’arrive pas à envisager de rompre.

Le schéma est bien là : un individu en position de force évoluant dans un système où la supériorité vaut droit, une victime qui n’a de solution ni d’évitement, ni de fuite.

La femme me décrit un état de stress absolu quand elle voit son mari commencer à boire. Comme c’est une femme de caractère, quand son stress apparaît, elle part au combat et reproche à son mari sa conduite, la vie qu’il leur fait mener, etc. Lui, devient vite agressif dans la discussion puis dans les gestes, et la soirée finit généralement très mal.

Voilà la réalité collective : un couple dans la tourmente, un mari alcoolique et violent, une femme victime, pas d’échappatoire, une vie infernale pour les deux protagonistes… et ça dure depuis des années.

Je vous épargnerai un récit trop exhaustif des attitudes de cette femme, mais elle avait toutes les réactions normales d’une personne en souffrance, c’est-à-dire des réactions de séparation/agression.

Alors, je lui propose de changer sa vision à la fois de son mari et de sa relation avec lui. Finie la vision de l’être alcoolique et violent, essayons de le voir comme quelqu’un qui souffre à la fois de sa propre faiblesse et de la souffrance qu’il inflige. A priori, ça ne coûte rien et les autres stratégies ayant échoué depuis des années, autant en tenter une nouvelle.

Le travail s’est déroulé en deux étapes : une première étape de simple cohérence de bon sens, si la femme ne veut pas qu’il boive, elle ne doit plus acheter d’alcool et l’en prévenir : lui, peut boire à la maison car il est aussi chez lui, mais elle ne l’approvisionnera plus. S’il veut de l’alcool, qu’il aille s’en chercher lui-même. Cela peut paraître anecdotique, mais le mari obtient ainsi une permission « officielle », qui le libère de ses probables angoisses par rapport aux réactions de sa femme lorsqu’il lève le coude à la maison.

En contrepartie de cela, il doit assumer le fait d’être en charge de son approvisionnement. Cela le fera évoluer sur la vision d’employée de maison qu’il avait de sa femme. Celle-ci se repositionne donc dans l’esprit de son mari et reprend une position où elle peut exiger des contreparties.

Mais cette évolution n’est pas de nature, à elle seule, à résoudre le problème.

La deuxième étape consiste, à l’appui du changement de vision de la réalité vécue, de changer diamétralement d’attitude lorsque le mari boit. Au lieu de lui sauter à la gorge dès qu’il sort la bouteille, il faut se dire que l’on a affaire à quelqu’un qui souffre, qui n’en mène pas large à l’intérieur et dont la seule défense par rapport à ce mal-être est de s’apprêter à combattre sa femme. Cette réaction de combat masque, pour lui, la faiblesse qu’il ressent au fond de lui-même

Selon le vieil adage : « on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre », lorsque le mari commence à boire il faut immédiatement déployer des énergies d’unité. Le mari n’est pas malade de l’alcool, il est malade de faiblesse dans le système de gestion de sa sensibilité. Pour combattre la faiblesse, il ne faut pas stigmatiser, il faut renforcer.

Bref, j’ai accompagné cette personne dans la mise en place d’un système de valeurs de vie personnelles positives auxquelles s’accrocher pendant ces moments difficiles : lui sourire quand il se sert un verre, venir lui parler de choses et d’autres comme un femme aimante, en évitant au maximum de lui laisser voir du stress, lui donner des signes de tendresse, etc.

L’un adopte une attitude de séparation (la boisson), il faut lui opposer, de manière totale et obstinée, une attitude d’unité. Pas une attitude de soumission, c’est la pire des choses, mais une énergie qui dit : « mon petit père, quoi que tu fasses je ne dérogerai pas à mes valeurs de vie et je n’accepterai jamais les valeurs de séparation. Tu te fais du mal avec ton comportement ? C’est ta responsabilité, la mienne est d’agir en cohérence avec mes valeurs de vie et mes valeurs me font t’aider ».

Après trois séances de travail intense ensemble sur la mise en place de son système de valeur, la femme est venue à une dernière séance pour me dire que tout avait changé tout d’abord dans sa propre vie et ensuite dans sa relation de couple.

Elle n’était plus battue, avait retrouvé le sommeil et ne prenait plus de somnifère. Les relations avec son mari étaient revenues sur un mode de respect. Ils retrouvaient un style de vie connu de nombreuses années auparavant où ils sortaient ensemble le soir et le week-end. Le mari avait sensiblement baissé sa consommation d’alcool de sa propre initiative.

Cela ne signifie pas qu’ils vivaient subitement le paradis terrestre pour l’éternité, tant il est vrai que le temps peut avoir raison des plus belles situations, mais, à ce jour, les nouvelles que j’en ai sont bonnes.

Ne nous trompons pas, le changement de vision de la réalité n’est qu’une stratégie de départ pour motiver la personne sur un travail en profondeur sur ses valeurs de vie. Dans la réalité de cette personne, c’est la mise en application de façon déterminée de son système de valeurs de vie qui créée une nouvelle réalité.

De ce fait, il n’est pas nécessaire de savoir parfaitement interpréter une situation complexe pour parvenir à la solution. Il suffit de dérouler un système de valeurs cohérent et bien assimilé pour créer une réalité positive.

La puissance de cette démarche est phénoménale. Le résultat n’est pas toujours exactement celui que l’on cherchait (car, d’une part, on ne cherche pas à contrôler l’autre, on lui laisse toute sa liberté, et d’autre part, car nous n’avons pas toujours conscience de la manière précise dont la valeur introduite se mettra en place), mais il est toujours extrêmement positif pour soi-même et pour l’entourage. Cette démarche ne vise pas le contrôle, elle vise le bonheur dans la performance. Elle propose de vivre la meilleure version de soi-même, à tout point de vue.

Pour y parvenir, ce n’est pas toujours aisé, car il faut passer par-dessus un certain nombre de nos peurs, avoir accès à une relative humilité, savoir prendre des risques calculés et surtout accepter que la dimension intellectuelle ne soit pas une panacée absolue pouvant s’abstraire de tout ce qui constitue notre vraie réalité avec toutes ses ramifications.

En complément de mon précédent post sur les dangers de la "réalité collective", je voudrais insister sur l'importance de porter son attention sur sa propre réalité personnelle.

Un jour, je reçois une femme, chirurgien dans un grand hôpital de la Région Parisienne, qui me dit être en pré burn-out du fait d’une attitude de harcèlement moral de la part de son chef de service, et ce depuis environ 5 ans.

La situation qu’elle me décrit me fait penser à un vrai harcèlement fait de malveillance, d’autoritarisme délirant, à la limite de l’inhumain.

Et puis, plus je la fais parler, plus je m’aperçois que, chose que j’ignorais, les chefs de service en milieu hospitalier n’ont que des moyens de pression extrêmement faibles sur le personnel qu’ils gèrent : pas de prime pour motiver ou sanctionner le personnel, pas de sanction disciplinaire facile à mettre en œuvre, pas de marge de manœuvre par rapport à un éventuel avancement ou licenciement. Bref, la personne accepte une situation de harcèlement manifeste alors qu’elle ne risque quasiment rien en termes de sanction.

La dernière frasque en date de son chef de service était qu’il lui avait passé un savon monumental, l’avait injuriée parce qu’elle avait autorisé sa propre assistante, qui devait s’absenter, à s’entendre avec une autre assistante pour que le travail dans le service soit assuré pendant l’absence. Cette autorisation était proprement inadmissible, c’était désorganiser le service, le chirurgien était coupable de sabotage, etc.

Et le chirurgien de s’écrouler en larme, de se dévaloriser, d’avoir des envies de suicide, etc.

Cette situation peut paraître risible, mais croyez-moi, la souffrance était réelle et faisait peine à voir.

Le problème a été résolu en faisant un travail avec le chirurgien sur ses valeurs de vie, en lui donnant les outils nécessaires pour réaliser une opposition positive à son chef de service. Une fois qu’elle a compris et digéré le mécanisme, elle l’a mis en application, s’est opposée de façon constructive à son chef de service qui, voyant naître une opposition cohérente, a modifié sa vision de la personne et a cessé son harcèlement.

En fait, la situation de malheur vécue s’avérait procéder de la seule vision réciproque que les deux protagonistes avaient l’un de l’autre. Le chef de service voit le chirurgien comme une inférieure hiérarchique, victime désignée et résignée, qui ne se révoltera jamais de ses inconduites, alors que le chirurgien voit son chef de service comme l’autorité de tutelle, imposée et non-contestable.

De ces deux interprétations personnelles de la réalité, manquant l’une comme l’autre cruellement de maturité, découle le fait que l’un défoule ses plus bas instincts sur l’autre qui n’envisage pas de se révolter.

Inutile de dire que, si ce cas peut constituer un exemple symptomatique de l’impact d’une perception partielle de son environnement, ce n’est clairement pas le cas le plus difficile auquel j’ai eu à faire face.

Ce que j’observe dans la très large majorité des cas, c’est que, dans le monde du travail, lorsqu’il y a agression d’une personne par une autre (sous quelle que forme que ce soit), c’est plus par inconscience que par choix délibéré et réfléchi de nuire.

Même si je l’ai déjà vécu, le choc frontal entre valeurs d’unité et valeurs de séparation est peu fréquent de façon délibérée. Heureusement, peu d’êtres humains se font du bien en faisant mal à l’autre. Dans la quasi-totalité des cas, celui qui met en jeu des valeurs de séparation ne les assume pas. Ce refus de les assumer – généralement par inconscience – constitue une faille dans son système, que l’autre peut exploiter pour faire évoluer la situation vers un mieux commun.

Toutefois, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Si tout le monde reconnaissait la prééminence du système basé sur les valeurs de vie, le référentiel serait commun et de nombreux conflits seraient facilement évités, comme celui cité dans l’exemple de l’hôpital.

Dans le monde occidental actuel, ce système basé sur les valeurs de vie n’est pas ou mal enseigné. De ce fait, il apparaît comme idéaliste, désincarné et donc ne répondant pas aux nécessités de vivre dans « la réalité ».

Dans le monde du travail, cette vision s’exprime souvent par une mise en opposition du système de valeurs de vie avec le « monde du business », comme si ce monde du business était déconnecté de l’humain et que l’on pouvait avoir un comportement odieux dans la vie professionnelle tout en conservant une virginité personnelle, et ce au nom de la performance opérationnelle et financière.

Cette opposition de système n’invalide cependant pas la puissance du système des valeurs de vie. Il rend son expression sans doute plus compliquée, mais, à ce jour, je n’ai jamais eu d’exemple démontrant la supériorité du « système du business » ni dans les résultats concrets obtenus en terme de performances professionnelle et financière, ni en termes de bonheur obtenu par les personnes. Bien au contraire, plus cohérent, le système des valeurs de vie démontre, cas après cas, sa supériorité dans tous les domaines.

Pour sortir du diktat d’un système de fonctionnement du monde professionnel inhumain (basé sur l’illusion que moins on est humain plus on est fort), il faut être capable d’apprendre un autre système par lequel toutes les performances seront améliorées. Il faut accepter de modifier sa vision de sa propre réalité pour créer une réalité plus performante à tous points de vue.

En adoptant un système personnel adapté à mes objectifs de vie profonds, je modifie ma perception de la réalité commune dans un premier temps, puis je créé une réalité personnelle cohérente, donc puissante et performante.

 

Réalité collective ou réalité personnelle ? Savoir laquelle prime sur l'autre peut nous changer la vie.

Une des personnes que j’accompagnais, cadre dans un grand groupe bancaire, venait me voir pour un burn-out qui l’avait forcé à être en arrêt maladie depuis un an. Comme souvent, ce burn-out était associé à une addiction à l’alcool et la vie de cette jeune femme était devenue un enfer : arrêt d’activité, divorce et vie sentimentale désastreuse, angoisses à l’idée que ses enfants la voient ivre, vision catastrophique d’elle-même, etc.

Paradoxalement, ce burn-out venait du fait qu’elle était très appréciée dans son environnement professionnel et qu’elle connaissait une progression de carrière rapide.

Face aux tâches de plus en plus difficiles auxquelles elle devait faire face, elle se sentait en déficit de compétence important. Du coup, elle travaillait sans relâche pour acquérir des compétences techniques qui lui donneraient, selon elle, la maîtrise de la situation.

Étant exigeante avec elle-même, elle estimait ne jamais en savoir assez et, même si son entourage professionnel lui exprimait une appréciation positive de son travail, elle s’épuisait dans une course sans fin à la compétence.

Si une personne de son service était plus compétente qu’elle dans un domaine précis, il fallait qu’elle la rattrape, même si cette soi-disant compétence provenait simplement de 20 ans d’expérience supplémentaire et donc ne pouvait être compensée par l’acquisition d’une technique.

Femme intelligente, elle s’est complètement investie dans nos séances avec humilité et jugement. Je dois donc avouer que ma tâche s’en est trouvé largement facilitée et, même si mon seul rôle ne peut être considéré comme unique responsable de sa guérison, ni même prépondérant, le déclencheur qui, à un certain niveau, lui a permis de reprendre le contrôle de sa vie est survenu lorsque je lui ai dit : « vous savez, la vie est plus intelligente que vous et moi réunis. Vouloir tout contrôler ne fait que vous limiter car vous ne pouvez avoir conscience de tout. »

A partir de ce moment-là elle a envisagé les choses différemment, s’est ouverte à un travail en profondeur et l’accompagnement s’est achevé après cinq séances. Depuis, elle a arrêté complètement de boire, a repris son travail, a retrouvé une vie sentimentale épanouissante et ne nourrit plus aucune angoisse les semaines où elle accueille ses enfants chez elle.

Cet exemple illustre, pour moi, le caractère illusoire du contrôle à tout prix, quand on le juge à l’aune du bonheur. La volonté de contrôle procède de notre intellect qui, en tout cas s’agissant du mien, est limité. Or, le bonheur personnel et collectif ne peut venir de la seule dimension intellectuelle si celle-ci est limitée. Si nous pouvions contrôler à tous coups notre bonheur, cela se saurait car il y aurait sûrement davantage de personnes heureuses sur terre.

Dans le prolongement des recherches de mathématiciens comme Laplace, Poincaré ou von Neumann, le météorologue Edward Lorenz se posait la question : « Prédictibilité : le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ». Si ce chercheur se pose cette question, j’ai le sentiment d’enfoncer des portes ouvertes en affirmant que, dans une immense majorité des cas, nous n’avons conscience que d’une infime partie de ce qui constitue la réalité collective.

Le malheur est que, dans nos civilisations occidentales, à peu près toutes les formations que suit une personne sont basées exclusivement sur cette illusion. Notre mode de raisonnement est donc formaté, dès notre plus jeune âge, pour que nous soyons persuadés que la réalité collective est une donnée fixe, préhensible dans sa globalité, charge à nous ensuite de nous y adapter et de la contrôler.

Éduquer et entraîner sa capacité de raisonnement est très important, bien évidemment, mais restreindre la palette de ses outils, de ses possibilités, à ce seul élément est mortifère pour soi-même et pour son entourage.

Je dirais, de façon un peu provocatrice, que, dans le milieu professionnel, compte tenu de la complexité des problèmes, si des décisions ne sont prises qu’à la lumière des dimensions physiques et intellectuelles, c’est un coup de chance si elles débouchent sur les effets souhaités initialement.

De trop nombreux dirigeants semblent accrochés à la notion de contrôle et restreignent, consciemment ou inconsciemment, leur action à cette approche. Beaucoup des cas de souffrance au travail rencontrés, chez les collaborateurs comme chez les dirigeants, proviennent de cette erreur.

Avoir conscience de la vanité de l’obsession du contrôle des situations et de ses semblables, pour évoluer vers l’humilité. Accepter que chacun fait de son mieux avec ses propres moyens si tant est qu’il dispose d’un objectif clair, peut libérer des énergies insoupçonnées chez une personne et dans un groupe.

 

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