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Dans trois précédents posts, nous avions vu trois des caractéristiques de l’entreprise responsable, à savoir qu’elle se devait d’être honnête et juste, puis une citoyenne active, enfin un employeur responsable. Le quatrième rôle que doit être capable d’assumer une entreprise se voulant responsable est de protéger le futur commun, c’est-à-dire avoir la capacité à inscrire son action dans le long terme.
Pour ce faire, elle doit porter son attention, notamment, sur les trois points suivants :
. Assumer ses devoirs pour protéger la nature et conserver ses ressources limitées
. Enrichir le monde de la connaissance et de l’expérience pour promouvoir une meilleure régulation au bénéfice de la société dans son ensemble plutôt qu’à la protection des intérêts personnels
. Investir dans le développement des compétences
Ces points, qui semblent frappés au coin du bon sens, sont, toutefois, parmi les plus compliqués à mettre en pratique au sein du monde de l’entreprise.
Il s’agit, en effet, d’appliquer une vision à long terme dans un univers où le court terme prime généralement pour des raisons qui ne sont pas absurdes :
. La vision à long terme génère des coûts dont on ne connait pas la rentabilité (et parfois il n’y en a aucune pour l’entreprise elle-même). Comment justifier économiquement, alors, d’investir sans retour sur investissement ?
. La Direction d’une entreprise est souvent jugée, par ses actionnaires, sur ses résultats annuels et non sur son intégration harmonieuse à son environnement. Comment conserver son poste à la Direction d’une entreprise si les actionnaires ne suivent pas ?
. Le savoir-faire d’une entreprise constitue un actif pour elle, un élément constitutif de sa valeur propre (notamment financière). Enrichir le monde de connaissances, pourquoi pas, mais si cela revient à faire perdre de la valeur à l’entreprise par la vulgarisation de ce qui constitue sa spécificité, les actionnaires suivront-ils ?
Seul le point concernant l’investissement en compétences parait facile à mettre en pratique par le fait qu’il aille dans le sens à la fois des intérêts de l’entreprise et de ceux de de la société dans son ensemble.
Il semble que ce point particulier ne puisse être raisonnablement envisagé que dans le cadre d’une obligation légale.
C’est dans ce domaine, notamment, que le rôle de l’état, donc de la collectivité, doit s’exercer pour assumer son rôle d’assistance et de coordination en vue du bien commun.
Comment mettre d’accord une Direction d’entreprise qui, malgré toute sa bonne volonté, est jugée sur ses résultats, et des actionnaires qui, eux, attendent de la rentabilité pour honorer un certain retour sur investissement ?
La contrainte légale et commune à toutes les entreprises semble, encore à l’heure actuelle, être la seule issue possible, même si, compte tenu des contraintes de la mondialisation, elle n’est qu’une solution imparfaite.
On observe cette imperfection dans de nombreux secteurs, de l’agriculture à l’industrie, dans lesquels les producteurs nationaux, soumis à la loi française, sont en concurrence avec des entreprises étrangères, dont les législations locales n’imposent pas les mêmes obligations.
Face à cette imperfection, il serait tentant de baisser les bras en se disant qu’il n’existe pas de vraie solution.
En fait, les solutions sont déjà en cours de mise en place, mais elles prendront du temps pour produire des effets sensibles.
C’est le cas, notamment de la démarche de mise en place de labels spécifiques : bio, éco responsable, etc.
Pourquoi nécessitent-elles autant de temps ?
Parce qu’il faudrait qu’elles se généralisent à l’ensemble des secteurs économiques d’une part, parce qu’il faudrait que les consciences des consommateurs (particuliers comme entreprises) acceptent que consommer des produits labellisés de la sorte est une question de survie de l’humanité d’autre part, et enfin parce qu’il faudrait que l’état ait un peu moins besoin d’argent pour pouvoir mettre en place une fiscalité adaptée à un mode de production nécessairement plus coûteux.
Vous pensez qu’envisager les choses ainsi est un combat perdu d’avance ?
Je fais partie de ceux qui refusent de considérer que l’évolution des consciences est un mur infranchissable, que l’humain est un domaine figé dont les penchants égoïstes sont une donnée fixe et non un paramètre évolutif. Encore faut-il s’attaquer réellement au problème, autrement que par la propagation d’une pensée unique dépourvue de sens profond…
La première partie de l’énoncé de ce point ne pose pas de problème particulier, dans la mesure où l’on raisonne en général. En effet, tout progrès dans la connaissance et l’expérience enrichit le monde. Par principe.
La difficulté survient dans la seconde partie de l’énoncée, quand il s’agit de l’appliquer pour une meilleure régulation au bénéfice de la société dans son ensemble.
Il faudrait définir avec précision ce que l’on entend par « promouvoir une meilleure régulation au profit de la société dans son ensemble ». Que veut dire le mot « régulation » ? Régulation de quoi ?
En tout état de cause, s’il s’agit d’enrichir le monde, cela passe par un partage de connaissances et d’expériences acquises par une entreprise.
Dans un monde concurrentiel, il paraît difficile d’envisager qu’une entreprise partage gratuitement avec la collectivité ce qui fait sa particularité, ce sur quoi elle base son activité marchande, bref son gagne-pain. Ce serait demander à Coca-Cola de publier la recette de son breuvage, ou à Chanel de rendre publique sa recette du N°5. Pas très réaliste tout ça…
Ce point est donc, à mon sens, plus prendre dans le sens d’une démarche tendancielle que d’un objectif à atteindre dans l’absolu. Enrichir le monde dès que cela est possible sans remettre en cause la survie de l’entreprise.
Sinon, ladite entreprise risque de perdre sa spécificité, donc ses marchés et devra sans doute rapidement fermer boutique. Sa disparition entrainerait donc l’impossibilité, pour elle, de continuer à progresser dans la connaissance et l’expérience, et d’enrichir le monde. Où serait le bénéfice commun ?
Appliquer ce point nécessite une attention précise et permanente, à l’intérieur de l’entreprise, pour pouvoir discerner ce qui constitue son fonds de commerce et doit être préservé, et ce qui est de nature à pouvoir être rendu public pour faire progresser la communauté dans son ensemble sur le long terme.
C’est la valeur « Partage » qu’il faut mettre en pratique, ce qui est toujours délicat.
A quel moment et avec quelle mesure le partage devient-il bénéfique pour tous, sans porter préjudice à celui qui est à l’initiative du partage et sans amputer celui qui reçoit de sa capacité de progression par le fait de lui apporter une solution sans qu’il n’ait eu à faire l’effort de la trouver lui-même ?
Il me semble que c’est à définir au cas par cas et que, en la matière, aucune règle précise ne puisse être édictée. Toutefois, si la Direction d’une entreprise n’a pas conscience de l’importance de la valeur « Partage », il n’y a aucune chance qu’elle n’applique concrètement cette communication sur le savoir de son entreprise.
En la matière, encore une fois, c’est la formation des consciences personnelles, et non une recette collective, qui permettra de généraliser une telle démarche.
Ce point n’est pas nouveau. Investir dans le développement des compétences, c’est investir dans un avenir en progression.
C’est une question de bon sens et, mis à part un de mes anciens patrons qui refusait avec obstination que ses collaborateurs se forment, au nom de : « vous êtes formés, maintenant il faut travailler ! », peu de responsables ignorent que le développement des compétences est un chantier sans fin et nécessaire pour rester compétitif sur le long terme.
La question qui peut se poser pourrait être : quel type de compétences souhaite-t-on développer, qui soient de nature à protéger le futur commun ?
Certes les compétences techniques sont indispensables à de nombreux titres : trouver de meilleures solutions à la résolution de problèmes touchant, notamment, l’écologie au sens large, permettre le progrès social, etc.
On peut, en revanche, déplorer que le monde de l’entreprise n’accorde qu’une place minime au développement des compétences en matière humaine ; en matière de développement de la personne humaine dans sa relation avec elle-même, avec les autres et avec son environnement en général.
Penser que ce domaine est du ressort de la vie personnelle et que, en conséquence, l’entreprise n’a pas de rôle à jouer en la matière mène celle-ci à se priver d’un des leviers principaux lui permettant non seulement de protéger le futur commun, mais également de se protéger elle-même de la manière la plus efficace qui soit.
C’est une évidence que j’énonce, mais la protection du futur commun passe forcément par l’élévation du niveau de conscience de chacun et, en la matière, le monde de l’entreprise a son rôle à jouer, même s’il s’en défend.
Cette démarche peut prendre du temps pour être menée à son terme, mais on ne préserve pas le futur commun avec quelques recettes immédiates ou avec des seules lois… Malheureusement…
Être une entreprise responsable devrait passer par assumer la responsabilité d’avoir un rôle dans l’élévation du niveau de conscience de chaque membre qui la compose.
Encore faudrait-il en avoir conscience…
Les caractéristiques premières d'une conscience élevée sont doubles : d'une part la conscience que son niveau peut progresser à l'infini et d'autre part le désir de la faire progresser en permanence.
Alors, Mesdames et Messieurs les Dirigeants, vous avez peut-être le sentiment d’être à la quintessence des niveaux de conscience possibles… Et si ce n’était pas encore tout à fait le cas, seriez-vous preneurs d'une méthode pour progresser en la matière ?