En préambule, précisons que le titre se veut évocateur, voire provocateur, mais à ne pas prendre au sérieux car je n’ai absolument aucune expertise en matière de pire karma. Je saurais à peine vous définir l'expression.
Ce que j’entends personnellement dans ce concept, en l’occurrence, c’est un « déroulé de vie », les grandes conditions dans lesquelles se déroule la vie d’une personne.
Et bien, pour moi, le pire karma du monde est celui... d’ingénieur.
Je n’ai, bien évidemment, rien contre les ingénieurs et vous allez peut-être vous demander : quelle mouche le pique pour proférer de telles aberrations ? Il y a quand même des sorts moins enviables que celui de polytechnicien, de centralien, d’agro ou de n’importe quel autre diplômé d’école d’ingénieur.
En matière de reconnaissance sociale et de capacités intellectuelles je vous l’accorderai bien volontiers.
En matière de conscience, de capacité à aller au bout de ses possibilités humaines, en revanche, à quelques nuances près, je reste convaincu de la véracité de ce titre racoleur : être ingénieur consiste à faire face au "pire karma du monde".
Comment en suis-je arrivé là ? Notamment du fait de mon expérience de coach.
Prenez un polytechnicien (j’en connais un certain nombre), après avoir passé deux années à faire des mathématiques à haut niveau (math sup et math spé) il atteint le graal : il est admis à Polytechnique !
Une fois dans la place, il ne fait plus grand-chose. Son entourage social, comme son environnement direct de l’école, lui renvoient une image de lui extrêmement valorisante : il fait partie de l’élite intellectuelle de la nation.
L’enseignement qui lui est délivré le formate pour le convaincre qu’il n’y a de réalité que la réalité collective, exogène à tout individu, objective et devant toujours pouvoir être appréhendée à l’aide d’un raisonnement scientifique, donc contrôlable. Toute réalité personnelle n’est que secondaire, une personne a soit raison, soit tort dans son appréhension d’une réalité collective et, comme il représente l’élite intellectuelle, la probabilité est forte pour que ce soit lui qui ait raison.
Vous trouvez cela caricatural ? Je vous l’accorde… à moitié...
Mais, après tout, est-ce plus mal comme ça ? Il est possible d’imaginer qu’une partie de la société soit dédiée à la faire progresser dans une dimension secondaire. Comment aurions-nous des ponts solides, des ordinateurs performants, des maisons confortables ou des stations spatiales dans le ciel sans de telles personnes ?
D’autant plus que, baigné dans cette conviction d’être l’élite, l’ingénieur ne se remet que rarement en cause personnellement. Du coup, il est plutôt heureux de son sort et c’est tant mieux.
Tout serait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Sauf…
Sauf que l’X, le Piston ou l’Agro font partie d’un monde, d’une société humaine, d’un univers qui ne fonctionnent pas seulement de cette manière.
Sauf qu’une vision limitée aux seules dimensions matérielle et intellectuelle ne suffit plus quand les vrais problèmes surviennent. Et là, ces merveilleuses personnes semblent totalement démunies.
Pour illustrer mon propos, je citerai deux exemples qui me semblent symptomatiques de deux attitudes opposées débouchant sur des résultats évidemment très différents :
Le premier exemple est celui d’une femme de 55 ans, polytechnicienne ayant très bien réussi dans sa vie professionnelle jusqu’à ce qu’elle soit atteinte par un burnout. Ne s’étant traitée, pendant longtemps, que par des antidépresseurs, elle n’avait pas trouvé de solution à sa situation, était tombée dans l’addiction à l’alcool, ce qui avait empiré son état dépressif.
Le reste de sa vie était alors parti à vau-l’eau : divorce, enfants en échec scolaire, etc. Bref, presque du Zola, malgré des conditions de départ très privilégiées.
Quand elle est venue me voir et qu’elle m’a expliqué sa situation, revenait dans son propos, à peu près toutes les dix phrases, qu’elle était très intelligente parce qu’elle était polytechnicienne. Bloquée sur cette gloire passée, elle s’est montré incapable d’envisager sa vie d’une façon plus dynamique et positive que celle pour laquelle elle avait été formatée bien des années auparavant.
Elle restait figée dans une démarche de contrôle d’une réalité collective (ce qui l’exonérait d’une grande partie de la responsabilité de son état), là où elle aurait pu se concentrer sur sa réalité personnelle et admettre qu’elle était en mesure de prendre en charge son mieux-être.
Après quelques séances de coaching, et la voyant toujours résolument bloquée sur une vision d’elle-même et de sa vie ne lui apportant que malheur, j’ai dû me résoudre à interrompre la relation sur un échec.
Et oui ! le coaching ne réussit pas dans 100% des cas. Notamment lorsque le coaché aimerait aller mieux, mais sans accepter de faire l’effort de sortir de sa zone de confort. Pour aller mieux, il est impératif d’en avoir réellement envie et de s’en donner les moyens.
Le second exemple est celui d’une jeune femme, également diplômée d’une grande école d’ingénieur (différente de la précédente), qui atteinte d’une maladie grave, venait me voir, en plus des médecins qui s’occupaient d’elle, pour mettre toutes les chances de son côté dans sa lutte contre ladite maladie.
Je passerai sur les détails, mais son problème de santé était intervenu dans un contexte de dissension croissante avec son mari, ingénieur de grande école également. Les causes d’un tel éloignement sont complexes et multiples, et elles n’interviennent pas dans mon présent propos, mais c’est leur mode d’expression qui m’intéresse ici.
Ayant une vision de la vie selon laquelle la seule réalité est collective et donc objective, le couple s’affrontait constamment sur des thématiques : « j’ai raison et tu as tort ». Chaque comportement de l’un ou de l’autre était immédiatement passé par le tamis de cette seule grille de décryptage.
Inutile de vous dire que, dans ces conditions, la vie de couple devient vite compliquée : les frustrations s’enchaînent, le ressentiment vis-à-vis du conjoint s’accroît de jour en jour et l’horizon s’assombrit inexorablement. Plongé dans un environnement aussi désespérant et mortifère, certaines personnes peuvent développer un certain nombre de maladies graves.
Après un début de coaching difficile car axé sur une vision de la vie très différente de celle qu’elle avait toujours considérée, cette personne s’est prise au jeu et a accepté de sortir de sa zone de confort. Elle s’est investie dans la compréhension des mécanismes de fonctionnement des systèmes de valeurs, se les est appropriés et a pu ainsi effectuer un vrai travail d’évolution. Ce travail lui a permis d’acquérir un outil de vie complémentaire, pas forcément nécessaire pour construire un pont, mais très utile pour construire une vie heureuse.
À ce jour, elle va bien.
J’espère que vous aurez compris que ce post ne stigmatise ni un type de diplôme, ni des écoles, mais une conception de la vie qui peut être partagée par une foule de personnes qui n’ont jamais vu d’école d’ingénieur, ni de près, ni de loin.
Ce pire karma peut donc être dépassé. Un certain nombre de ceux qui ont été formatées dans cet esprit de culte de la science, une fois qu’ils se mettent en marche dans leur développement personnel, sont particulièrement passionnants par la densité qu’ils mettent dans leur implication, dans leur raisonnement et donc dans leur progression. Ce sont alors de véritables trésors d’évolution dont j’apprends beaucoup.
Le fait est qu’ils ont généralement besoin d’être accompagnées pour pouvoir envisager une façon de penser qui leur est complètement étrangère au départ.