Pourquoi tout le monde aime dire « Je vous l’avais bien dit ! »
C'est étrange ce sentiment que vous ressentez lorsque quelque chose que vous dites est rejeté, refusé ou même tourné en ridicule et s'avère juste plus tard !
Vous savez que vous ne devriez pas vraiment vous en réjouir, car généralement le mal est fait, mais l'envie peut être presque irrésistible, et pour une très bonne raison.
Tout d'abord, votre cerveau est inondé de dopamine, le produit chimique qui vous donne cette pointe de plaisir que vous méritez à coup sûr et votre noyau accumbens (le centre du plaisir dans votre cerveau) s'illumine comme un sapin de Noël.
Votre cerveau aime plus avoir raison qu’il n’aime votre programme TV préféré ; il a envie de dopamine et du sentiment qu'il a fait un excellent travail.
Le sujet c’est que votre cerveau adore faire l'expérience d'une élévation de statut.
Cela n’a pas besoin d’être quelque chose de majeur, comme acheter un bateau qui coûte plus cher qu’une maison, ou se voir offrir la Couronne d'Angleterre, ou encore qu’une foule en délire vous supplie de descendre les champs Elysées sur le toit d’un bus pour vous acclamer.
Avoir le sentiment de gagner par un argument insignifiant, mais juste, ou avoir raison sur quelque chose dont d'autres personnes ont douté, est aussi efficace pour atteindre ce but.
Votre cerveau interprète de tels événements comme des victoires, des jeux à somme nulle, avec vous comme vainqueur.
Vous avez « gagné », votre statut vient donc de s'élever au-dessus de la personne que vous « battez » et votre cerveau se dit très tranquillement et inconsciemment (ou fort et consciemment pour certaines personnes), « je suis meilleur qu'elle ».
Sauf que, parfois, l'autre personne n’admettra pas que vous ayez « gagné ».
A cette fin, elle pourra aller jusqu’à ce que vous considérerez comme tordre les faits ou même les réfuter complètement. Elle peut nier que c'est ce qu'elle voulait dire ou vous accuser de sortir les choses de leur contexte ou pire encore, de mentir ou de ne pas comprendre la réalité.
Maintenant votre cerveau est passé d'euphorique à énervé.
Vous êtes frustré, agacé et irrité par le fait que votre statut soit bloqué.
C'est à ce moment-là qu'un minuscule désaccord peut dégénérer en combat de grande ampleur, alors que votre cerveau réclamait juste une sucrerie, donc soyez prudent car c’est là que le vrai danger survient.
Vous affirmez bien fort, avec une certitude absolue, que vous saviez avant l’autre, mais :
Soit vous aviez raison et votre progression en termes de statut se fait forcément au détriment de celui de l’autre,
Soit vous aviez raison dans votre interprétation de la réalité, mais cette interprétation s’avère différente de celle de l’autre et vous risquez de passer pour un crétin (c’est le cas quand vous avez raison sur un fait, mais pour de mauvaises… raisons),
En tout état de cause, il y a très peu de probabilité pour que cette élévation de statut que vous ressentez soit durable et sans prix à payer.
En manifestant cette supériorité présumée sur l’autre, vous ne faites qu’affirmer une séparation égotique. Vous croyez exprimer : « moi digne d'être aimé car moi intelligent », mais, en fait, vous exprimez : « moi différent de toi, car moi supérieur à toi ».
Le résultat sur votre auditoire sera alors fonction du niveau de conscience de ce dernier :
Soit il répondra à votre projection de séparation égotique par une réaction également de séparation. En découlera un conflit dans lequel chacun s’enlisera et vous vous rendrez compte assez vite que l’augmentation de statut, si plaisante, est chère payée. Mais comme « vous aviez raison », il ne vous viendra même pas à l’esprit de faire marche arrière pour préserver ce qui, en réalité est vraiment important et de nature à élever votre statut durablement : l’unité ;
Soit, si son niveau de conscience est plus élevé, il repérera votre propension à générer de la séparation égotique, vous laissera croire en votre « raison », et vous classera parmi les « petits esprits » qu’il faut, certes, faire évoluer avec bienveillance, mais qui ne font pas la différence entre ce qui est important, positif, et ce qui est secondaire, négatif.
Bref, en tout état de cause, vous serez le seul à ressentir cette élévation de statut, alors même que, tous les autres, penseront exactement le contraire. La conséquence immédiate est que vous vous isolerez et donc que vous vous affaiblirez.
En fait, le faible cherche à affirmer une force dont il ne dispose pas en disant « je vous l’avais bien dit ! ». Le résultat est qu’en ayant éventuellement raison sur un détail il met en danger l’important qui est le soutien que les autres seraient en mesure de lui apporter, qui lui est nécessaire puisqu’il est faible. Il est faible au départ et il le devient encore plus à l’arrivée. Cela s’appelle soit du masochisme, soit de la bêtise, soit les deux à la fois.
Alors que faire quand on a « raison » ?
Laissez les autres s'en rendre compte et l'exprimer à votre place. Ils montreront ainsi qu'ils adhèrent volontairement à votre apport et votre évolution de statut, en étant reconnu, aura généré de l'unité. Vous êtes en droit d'attendre cela de l'autre au nom de valeurs de vie élevées, au nom de celles qui laisse à chacun la responsabilité de construire l'unité.
Et s'ils ne le font pas ?
Ne vous poussez pas en avant. Restez silencieux quant à votre « raison ». Cela vous évitera au moins les désagréments d'une mauvaise opinion des autres à votre égard. Ensuite, concentrez-vous sur la prochaine fois que vous pourrez avoir raison. A force, les autres finiront par le reconnaître d'eux-mêmes et vous en retirerez les bénéfices. Un peu de patience !
Affirmer avoir raison, contre une autre personne, n’est pas un signe de supériorité, c’est un signe d’incapacité à intégrer l’autre dans une dimension unitaire plus vaste, plus solidaire donc plus efficace. Avoir raison sur un fait, si on a tort sur les valeurs que l’on exprime « n’est que ruine de l’âme ».
Ça « tombe » mal pour celui qui grave ça comme ultime message…