Hommage indispensable. Je commence par une petite mise en situation.
Le dimanche 31 décembre 2023 je me rends à la messe du matin. Toute est normal et la messe se déroule normalement, jusqu’au moment qui précède la communion. À ce moment, je sens mon corps devenir lourd. Je m’appuie sur la chaise du rang devant moi, mais progressivement mon bras gauche fléchit et ne parvient plus à supporter mon poids. J’entends derrière moi quelqu’un dire : « Il va tomber » Puis une autre voix « Il fait un AVC ! ». Je me retourne alors sur ma droite pour voir qui dit ça et aperçois alors une main tendue vers moi. Je la saisis avec ma main droite, ce qui me permet de me retrouver assis sur ma chaise. J’entends alors « Il faut appeler les pompiers » Et moi de dire « je dois aller communier », ce à quoi ce à quoi j’obtiens comme réponse « Vous n’irez nulle part ».
Ensuite les choses discontinuent : je suis allongé par terre, puis sur un brancard et installé dans la camionnette des pompiers. Ensuite, deux miracles s’enchaînent : 1/Je parviens à saisir mon téléphone portable et à appeler ma femme 2/Celle –ci décroche et répond à l’appel (probabilité normale : 1/10) . Je reprends mes esprits dans une IR.
Puis dans ma chambre de l’unité de réanimation soin intensif de neurologie avec des voisins de chambrée. Et là, environ 30 min après le premier incident commence une autre vie à laquelle rien ne m’a préparé. Des alarmes sonnent continuellement autour de moi. Le voisin de chambrée se plaint de mes ronflements nocturnes. J’apprends que j’ai un œdème de 5 cm de diamètre dans le cerveau droit et je m’aperçois que le côté gauche de mon corps ne répond plus aux ordres de mon cerveau.
Au bout d’une quinzaine de jours (dont 4 nuits consécutives sans dormir), et une nourriture spécialement infecte qui m’oblige à maigrir de façon accélérée je me rends compte que je parle avec une voix et une diction complètement pâteuse et quasi incompréhensible mais pas de douleur, mourir par AVC ne doit pas être très douloureux, mis à part un mal de tête tenace mais pas du tout insupportable. Bref, j’ai l’impression d’aller bien et exprime mon souhait de rentrer à la maison au plus vite. Souhait qui déclenche des rires moqueurs de la part de ma femme et de l’interne qui l’accompagne au pied de mon lit. Comment aurais-je pu m’imaginer… ?
15 jours plus tard, je suis transféré à l’unité de rééducation de l’hôpital Casanova voisin. Là je découvre un autre univers avec ses mauvais côtés, mais également ses bons côtés… parfois…
1/ Les mauvais côtés
Un univers totalement hiérarchisé dans lequel les règles sont innombrables mais aucune ne saurait être remise en cause par quiconque. À la tête de cette hiérarchie le médecin-chef de service, puis le médecin rééducateur, puis les infirmières, puis les aides-soignantes, enfin, les agents chargés du ménage, avec quelque part au milieu de tout ça les cadres de service.
Cet univers est largement déshumanisé : l'une des règles de la rééducation est qu'il est préférable d'être assis dans un fauteuil plutôt qu'allongé dans son lit. Les effets de cette règle, sûrement fort justifiée, est que l'on vous laisse planté assis pendant 4h consécutives devant un mur blanc avec impossibilité de changer de position.
À la fin de la première heure vous en avez marre. A la fin de la seconde vous commencez à ressentir des douleurs dans le bas du dos. A la fin de la 3e vous avez l'impression que les os de vos fesses veulent percer votre peau et que votre coccyx part en miettes. Vous passez alors la quatrième heure à appeler à l'aide pour que l'on vous remette au lit, pour que la souffrance s'arrête. Vous n'obtenez comme réponse que : LA REGLE !
Et puis, au bout de 4h, une aide-soignante encore humaine accepte de me remettre au lit. Soulagement !
Quelques minutes après le médecin rééducateur, que l'on aperçoit au plus une fois par semaine, passe dans le service, constate que je suis au lit, demande des explications. L'aide-soignante lui explique que je souffrais trop. Le médecin lui répond textuellement : "et vous avez cédé ?"
Dans cet univers, les mots "compassion" et "empathie" ont été remplacés dans la tête de certains soignants par le mot "rééducation" et sont devenus des synonymes de "faiblesse de caractère". Ahurissant !!! Une règle, si elle est bonne devrait être appliquée avec humanité, que la règle intègre une durée maximale quotidienne pendant laquelle on laisse un être humain seul sur son fauteuil face à un mur blanc.
Je serais sincèrement curieux de savoir combien de temps par jour et combien de jours consécutifs le "médecin rééducateur" supporterait d'être assis totalement immobile face à un mur blanc, au point de devoir recevoir un traitement contre les crevasses qui se forment sur la peau de son auguste postérieur.
J'en suis au médecin, alors je continue brièvement. Je me plaignais également d'un mal de reins persistant. Face à l'aspect de mes urines, le médecin fort justement prescrivit une analyse qui révèle une infection, mais comme je n'ai je n'ai ni de douleur assez vives, ni de température je suis déclaré "asymptomatique" et donc qu'il est préférable de ne rien faire et de ne pas me traiter.
Là, je me permets de faire un petit détour par l'infirmière chargée de me distribuer des antalgiques. Elle en dépose 2 gélules sur ma table en disant : " c'est pour les douleurs", repart immédiatement de ma chambre, s'arrête à la porte, se retourne et ajoute : « que vous n'avez pas ! » Un sommet dans le manque de compassion que peut avoir un soignant envers son patient. Peut-être était-ce sa forme d'humour !?... Deux jours plus tard j'avais 40 de fièvre, tous les médecins du service à mon chevet et de nombreux prélèvements pour analyser le type d'infection. Le traitement de l'infection a pu intervenir une dizaine de jours plus tard. Dernier élément négatif concerne une aide-soignante qui m’agresse physiquement parce que je n’obéis pas assez vite à son ordre de me redresser dans mon lit quand elle vient me distribuer mon petit déjeuner vers 6h30 du matin. Comme c'était le troisième manque de respect flagrant et la deuxième agression physique, je me suis senti obligé de faire un signalement à la hiérarchie de façon à protéger d’autres patients plus vulnérables que moi ou ne parlant pas français et ne pouvant donc pas se défendre. A ce jour j’ignore les suites données à mon signalement, mais, au moins, n’aurai-je pas été inactif à ce sujet.
2/ Les bon côtés.
C'est la raison qui me pousse à écrire ces lignes tant ils dominent. En tête de ces hommages, je placerai ma femme et ma mère. Ma femme qui a été d'une présence quotidienne et continue à mes côtés et que j'ai très vite associée à l'image d'une lionne amoureuse défendant son vieux lion impotent et blessé de toutes les menaces qui pouvaient exister et lui apportant le nécessaire pour survivre.
L'une des choses que j'ai découvert durant cette période compliquée est à quel point il peut être salissant d'être hémiplégique et donc le rythme effréné auquel il faut être approvisionné en linge propre. Tous mes remerciements à ma chère épouse pour s'être acquittée de cette tâche entre autres avec autant de régularité et d'efficacité. Et également et surtout pour sa présence infatigable et encourageante à chaque minute de ce parcours si inhabituel pour moi.
Ensuite, ma mère de 92 ans à peu de choses près pour les mêmes raisons que celles évoquées pour ma femme. À la différence que son approvisionnement concernait moins le linge propre (même si elle s'en est acquittée à de nombreuses reprises) que les clémentines qui par leur nombre et leur qualité ont certainement préservé mon sens du goût, si régulièrement agressé par la nourriture de l'hôpital.
Hommage également à toutes les personnes (famille et amis) ayant manifesté leur présence ou leurs pensées durant cette période où toute manifestation de liens de solidarité est si cruciale pour survivre. Quand il n'y a rien à faire ou à voir (absence de télévision pendant toute la durée de ma convalescence), on développe une sensibilité extrême à toute manifestation externe de sympathie.
Hommage à ma sœur qui chaque jour m'envoyait un "coucou" actif magnifiquement attentionné malgré son emploi du temps de ministre. Hommage également à mon frère aîné, un as de l'informatique, qui m'a très vite approvisionné en ordinateur et films me permettant de passer des soirées moins sinistres. Merci à lui pour sa constante disponibilité et ses actes allégeant ma condition d'infirme.
Hommage à toutes ces personnes qui ont agi en correspondance fidèle avec ce à quoi je m'attendais d'elles pour les connaître depuis longtemps.
Mais les vrais destinataires de cet hommage sont les personnes que je ne connaissais pas avant et qui ont dépassé mes attentes les plus folles durant cette période. Au premier rang de ces personnes je voudrais placer la majorité des aides-soignantes qui se sont occupées de moi. En tout premier lieu je veux citer Viviane qui, pour moi, est ce que la vie a produit de mieux parmi la race humaine en 4,5 milliards d'années (après le Christ, évidemment). Je n'ai pas de mots pour décrire les qualités humaines de cette personne. Si les compétences humaines étaient aussi bien rémunérées que certaines compétences techniques elle serait multimillionnaire ou milliardaire. Ce que, à mon avis, elle est très loin d'être.
Je ne citerai que la fois où j'avais le moral plus bas que terre (vraiment beaucoup plus bas). C'était le soir et Viviane était de l'équipe de nuit. Elle s'est rendu compte de mon état et, alors que la nuit elle était la seule aide-soignante pour une quarantaine de patients, elle a pris quelques minutes pour venir s'asseoir à côté de mon lit et me parler de sa vie.
J’avoue à ma grande honte que je n'en ai pas retenu grand-chose, mais voir cette femme faire l'effort de vouloir me remonter le moral, sans en avoir l'air et me changer les idées, m'a fait un bien fou et je lui en suis redevable. Comme les nombreuses fois où, au milieu de la nuit, elle est venue passer une tête dans ma chambre pour s'assurer que tout allait bien, ajustant les draps et les couvertures quand j'étais découvert et qu'elle pensait que je dormais à poing fermé.
Merci Viviane d'avoir été si sensiblement et humblement présente à mes côtés pendant cet enfer.
Parmi les aides-soignantes et juste après Viviane, mais dans un tout autre registre, je veux citer Stéphanie de l'équipe de nuit.
La première fois que je l'ai rencontrée, je somnolais dans mon lit en début de nuit quand la porte de ma chambre s'est ouverte et trois personnes sont entrées. J'ai ouvert les yeux et vu, notamment, l'une de ces personnes entourée d'un halo de lumière blanche très vive au point que la première chose que je me suis dit fut : "tiens ! Pourquoi un archange vient-il me voir dans ma chambre ?" J'ai allumé la lumière électrique et me suis rendu compte que cet "archange" avait pris la forme d'une jeune femme d'une taille beaucoup plus normale que selon ma première impression, mais avec un regard d'une telle attention et d'une telle pureté et d’une bienveillance qui semblait dire : « c’est peut-être dur, mais je compte sur toi pour te défoncer et t’en sortir » qui confirmait pour moi la qualité d'archange que j'avais premièrement perçue.
Si Viviane est le très haut du panier concernant les qualités humaines, Stéphanie a toujours été le top absolu de la gentillesse, de la pureté et du professionnalisme. La première fois que je l'ai vue elle m'a semblé tellement pure que je n'osais la regarder de peur que mon seul regard ne la salisse. C'est une impression étrange, je vous assure.
Ces premières impressions se sont confirmées tout au long de mon séjour. Merci Stéphanie pour votre pureté qui régénère.
Je terminerai cet hommage nominatif incomplet aux soignants en citant l'excellente infirmière Claire que la nature a également pourvue de toutes les qualités : magnifique tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, elle fait partie des personnes qui, lorsque vous avez la chance de croiser sa route et qu'elle vous accorde quelques minutes de son temps et de son attention, vous laisse avec une espèce de sourire béat et niais au creux du ventre pour le reste de la journée.
Je ne peux terminer le sujet des aides-soignantes sans évoquer Magalie qui personnifie pour moi le courage, le bon sens, le dévouement et la bonne humeur. Lorsqu'elle est dans le service on a l'impression que malgré notre vulnérabilité, le ciel pourrait tomber sur l'hôpital tous les patients du service s'en tireraient sans bobo grâce à elle. Un sentiment de sécurité qui fait du bien...
Il y en a beaucoup d'autres qui mériteraient d'être cités : Agnès, très à cheval sur la consigne, le petit doigt sur la couture du pantalon mais qui, quand le gros temps se pointe, est la première sur le pont pour assurer la continuité des soins. Ou encore Aïcha, qui est la joie de vivre, la gentillesse et encore une fois le dévouement. Il y a encore Imène, qui a sacrifié quelques années de dos en bon état pour me remettre sur sur pieds alors que j'avais glissé et m'étais étalé de tout mon long parterre. Meriem, également qui, le jour de mon départ, a empaqueté toutes mes affaires pour me permettre de retourner à la maison. Je n'aurais jamais pu le faire sans elle, avec un seul bras fonctionnel.
Enfin Dominique, qui fut la seule à accepter de rompre la "règle du fauteuil" après 4h de souffrance. Dominique merci pour votre humanité.
Au sein de cet univers très hiérarchisé, il existe cependant une oasis de vie presque normale : la zone de rééducation que se partagent ergothérapeutes, orthophonistes et kinésithérapeutes. Là on est dans le cœur de la machine avec des équipes non seulement ultra professionnelles, mais également très humaines et un peu hors du système hiérarchique.
Je citerai Javi, kinésithérapeute espagnol qui m'a remis sur mes jambes en position verticale en moins d'un mois. Laetitia, ergothérapeute qui s'indignait quand je lui disais que ses séances équivalaient pour moi à des séances de torture et qui ne pouvaient exprimer sa forte sensibilité qu'à travers des bougonneries, mais est toujours là pour rendre efficacement service. Et enfin Virginie, orthophoniste, alliant méthode de soins académique à des approches qui le sont moins, mais grâce auxquelles j'ai retrouvé un usage partiel de ma main gauche en 24 heures. D'une qualité d'écoute merveilleuse en cas de baisse de moral (et Dieu sait s'il y en a en 3 mois d'infirmité).
Voilà le petit monde dans lequel j'ai dû vivre pendant quelques mois et qui m'a enseigné beaucoup de choses : comment donner du sens à sa vie quand on est cloué dans un lit d'hôpital, grande leçon d'humilité aussi quand vos intestins vous lâchent et que vous êtes obligé d'avoir recours à deux personnes pour éliminer les dégâts, ou quand une jeune et jolie femme vous scrute quand vous prenez une douche pour évaluer votre capacité à le faire seul.
Bref, de grandes leçons de vie dont je me serais bien passé, mais qui, a posteriori, constituent les éléments positifs de cette malencontreuse aventure. Merci à toutes ces personnes et, avant tout, à Viviane et Stéphanie d'avoir été là.
À notre époque si vous cherchez des saintes, inutile d'aller dans les verts pâturages chercher des bergères inspirées, car les saintes se trouvent désormais parmi la communauté des aides-soignantes dans les hôpitaux français.
Je termine en disant que j'ai fini mon séjour avec un avis plus nuancé sur le médecin rééducateur qui, à l'usage, s'est montré être un homme de parole. Qualité pas si fréquente que ça dans notre société actuelle, merci à lui pour ça.