N’ayant pas une inspiration soudaine, aujourd’hui, pour un sujet particulier de développement personnel, je me permets d’écrire sur un sujet qui me tient à cœur : le sacrifice involontaire de nos élites.
En préambule, je voudrais préciser que je ne pense pas que les patrons, ou les hommes politiques, ou tout autre représentant d’une élite quelconque, soient des salauds, animés par leur seul intérêt, dont le but dans la vie est de faire perdurer une aberration sociale où les plus riches le sont de plus en plus et les pauvres toujours plus nombreux, où le maintien de leur caste est leur préoccupation première.
Je pense que nos élites, comme l’immense majorité d’entre nous, sont animées par de bonnes intentions, par la volonté de faire au mieux de leurs possibilités pour le bien du plus grand nombre.
Je me souviens de l’un des très grands patrons-entrepreneurs français, que j’avais rencontré il y a quelques temps. Ayant constaté les effets du stress sur sa santé, il souhaitait étudier la possibilité d’être accompagné pour parvenir à réduire le niveau de ce stress.
Au cours de la conversation, durant laquelle je lui exposais mes méthodes de travail et leurs implications, il eut cette remarque symptomatique quant aux craintes qu’un grand capitaine d’industrie peut nourrir au sujet du développement personnel. Il me dit avec une certaine anxiété dans le regard : « Je veux bien travailler avec vous, mais je ne veux, à aucun prix, perdre le goût des affaires. J’adore ça et je ne veux pas le perdre ».
Je lui ai répondu que, si je ne pouvais rien lui garantir sur facture, tout dépendait de lui, mais que, pour moi, ce serait le plus grand échec de ma carrière s’il perdait son goût des affaires…
La société, d’une manière générale, a un besoin crucial d’entrepreneurs et, a fortiori d’entrepreneurs de haut niveau, leur rôle est absolument majeur. S’ils veulent travailler sur eux-mêmes, l’axe de travail que j’emprunte est d’augmenter la satisfaction et le bien-être tiré de l’activité plutôt que de dévaloriser celle-ci d'une quelconque manière. En considérant le rôle de patron avec une perspective différente de celle utilisée habituellement, les satisfactions à en retirer, la justification de l’implication professionnelle, la dimension des actions réalisées s’accroissent plus que significativement.
La contrepartie est simplement une évolution au niveau des méthodes qui consiste à intégrer quelques éléments supplémentaires dans le raisonnement.
Alors, pourquoi parler du sacrifice des élites ?
L’expression « sacrifice des élites » peut être prise à double sens : d’une part il y a le sacrifice de la société que les élites perpètrent et, d’autre part, il y a le sacrifice d’elles-mêmes qu’elles consentent inconsciemment.
Je ne m’étendrai pas sur le fait que les élites sacrifient la société, ce n’est pas le sujet de ce post. Je dirai simplement que sans référence exemplaire, la société ne peut s’orienter et fonctionner dans un cycle d’évolution positive.
En revanche, je souhaiterais développer la notion de sacrifice d’elles-mêmes que consentent, inconsciemment, les élites actuelles, notamment économiques, politiques et, dans la mesure où elles sont souvent la source des deux premières, les élites intellectuelles.
Est-ce-que l’on se représente bien la réalité de la vie de ces personnes ?
Elles sont perpétuellement sollicitées pour résoudre les problèmes des autres. On ne parle évidemment pas ni des 35 heures, ni des 39 heures… A ce stade, le temps de travail se confond généralement avec le temps de vie. On se réveille boulot, on vit sa journée boulot et on se couche (tard) boulot.
On s’accorde quelques récréations comme des déjeuners dans des restaurants, parfois étoilés (durant lesquels on parle boulot), on prend quelques jours de vacances (très confortables) avec la famille, pour en profiter un peu, même si l’on sait pertinemment qu’on ne lui accorde pas assez de temps. Du coup, les relations familiales s’en ressentent à tel point qu’elles peuvent en devenir catastrophiques. Ah oui ! au fait… pendant les vacances on continue quand même à travailler…
Et, encore une fois, tout ça pour résoudre, à longueur de journées, les problèmes des autres. Le développement, la stratégie et le futur n’occupent qu’une place mineure dans l’emploi du temps des élites économiques et politiques. Elles n’ont pas le temps…
Vous me direz, il y a des compensations : les élites économiques gagnent bien leur vie, même si elles n’ont guère le temps de le dépenser elles-mêmes. Les dirigeants économiques et politiques ont le privilège de pouvoir décider et d’imposer leurs volontés aux autres. Et toutes ce beau monde jouit d’une reconnaissance sociale qui flatte son égo… La belle affaire !
En fait, la vraie compensation que la plupart d’entre eux trouvent par rapport à la vie suractive qu’ils mènent, c’est le plaisir qu’ils ressentent à travers leur activité. Plaisir de créer, d’entreprendre, de faire grandir, de façonner la vie des autres, de résoudre des problèmes, de faire évoluer leur environnement.
Je me souviens d’un patron propriétaire de sa grosse PME en province qui me disait : « le vendredi soir je suis triste que la semaine finisse et le dimanche soir je suis triste que le week-end se termine ». Mais rassurez-vous, en dehors de ces moments-là, il était tout à fait heureux de son sort.
Et pourtant, d’après mon expérience, le plaisir qu’ils ressentent est souvent un plaisir quasi enfantin là où il y aurait la place pour quelque chose de plus épanouissant et profond. Et en étant plus profond il entrainerait plus de conséquences positives pour les autres.
Dans ma pratique de ce milieu, j’ai rencontré beaucoup de personnes très intelligentes, un certain nombre de drôles, la très grande majorité de bien intentionnées vis-à-vis de leur environnement, mais celles qui disposaient d’une dimension spirituelle opérationnelle doivent se compter sur les doigts d’une main… et encore…
Un des membres du Conseil de Direction de l’un des plus grands groupes financiers français me confiait, d’un air désabusé : « je n’ai jamais autant entendu parler de valeurs morales que dans ce groupe et je n’ai jamais vu aussi peu d’applications concrètes de ces valeurs qu’ici ! ». Depuis, ce dirigeant est parti vers d’autres horizons… sa quête de sens était réelle…
Vous me direz : « comment peut-on apprécier ce genre de chose ? » En fait c’est assez simple : en constatant les décisions prises dans l’urgence ou sous une pression intense. En écoutant la base des raisonnements quand une forme d’incertitude se pointe à l’horizon.
La dimension intellectuelle est bien en place, bien formatée. Les éléments de logique concrète sont bien articulés, mais ne sont qu’exceptionnellement complétés par une réflexion plus profonde, intégrant une vision plus large, plus riche de leur univers. Si je devais résumer, en schématisant, bien sûr : ils croient savoir tout de presque tout, mais ne savent rien de leur dimension spirituelle.
N’ayant pas de dimension spirituelle opérationnelle, ils passent à côté de la plus belle partie de leurs actions et de leur vie… et s’en contentent. C’est leur droit le plus strict, certes, mais comment s’étonner alors qu’ils soient devenus aussi impopulaires dans notre société. Compte tenu de ce qu’ils font pour les autres je trouve cela injuste pour eux, mais compte tenu de la façon dont ils le font, je trouve cela d’une logique absolue.
Peut-être avez-vous vu le film-documentaire « Merci patron » dans lequel Bernard Arnault se fait manipuler par un journaliste pour que soit dédommagé un couple licencié, en situation vraiment difficile.
C’est un film qui m’a bien plu car la manipulation était intelligemment menée et la fin est heureuse dans la mesure où le groupe LVMH finit par dédommager, avec une élégance certaine d’ailleurs, le couple en difficulté.
Interrogé sur ce film au journal de 20h de France 2, Bernard Arnault a clos le sujet en une phrase en disant : « Oh, vous savez, il s’agit d’un journaliste d’extrême-gauche, alors… » La seule chose qu’il semblait retenir de cette histoire est le désagrément de s’être fait manipuler. Quelle occasion ratée !
Il aurait pu faire passer une infinité de messages beaucoup plus valorisants pour lui et pour son groupe : il avait entendu la détresse de ces personnes ; il ne lui était pas toujours possible de connaître tous les cas extrêmes d’un groupe qui emploie plusieurs dizaines de milliers de salariés, mais quand son attention était attirée sur l’un d’eux il faisait son possible pour arranger les choses, etc.
Bref, au lieu de se réfugier derrière la lutte des classes et la division, il avait une opportunité majeure de donner une image de lui positive et exemplaire, une dimension unitaire à son action. Mais ça, apparemment, ça ne fait pas partie de ses préoccupations. C’est dommage car, du coup, les autres, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne peuvent le prendre comme exemple positif. Et pourtant ils en auraient besoin…
Il y existe des membres des élites qui donnent l’exemple et le font savoir (comment donner l’exemple si personne ne le sait ?) : Coluche, Oprah Winfrey, Bill Gates pour ne citer qu’eux. En France, quelques noms circulent : Jean-Baptiste Descroix-Vernier (enfin ! un qui accepte un petit reportage sur son action et peut donc servir d’exemple), Geoffroy Roux de Bézieux et quelques autres. Mais on est loin d’un phénomène de masse…
Vous gagnez beaucoup d’argent. Super ! C’est que vous le méritez. Mais qu’en faites-vous ? Vous en servez-vous pour donner l’exemple ? Et si oui, qui le sait ?
Vous dirigez des dizaines, des centaines, des milliers de collaborateurs et avez de l’influence sur la vie d’un nombre encore plus grand de personnes. Bravo ! Cela ne s’est certainement pas fait tout seul. Mais le monde en est-il meilleur pour autant ? Votre action a-t-elle eu un sens pour vous-même et pour toutes ces personnes ?
Vous créez, développez, anticipez, imaginez et en éprouvez un plaisir certain. Tant mieux ! Donnez à tout cela une signification plus élevée et vous créerez, développerez, imaginerez un nouveau monde où il fera bon vivre.
Demain, une fois à la retraite ou dans la tombe, que restera-t-il de tout ça ? Des enfants déboussolés, des épouses dépressives, un environnement qui a pris soin de les oublier dès qu’ils ont cessé d’être en activité, car ils n’avaient plus d’utilité pour lui.
J’en ai vu beaucoup de ces patrons à la retraite, dépressifs et alcooliques distingués, qui ne savaient absolument plus quoi faire de leur vie et, pire, qui ne savaient pas donner un sens à toutes ces années d’activité frénétique. Intelligents, ils voient bien que les quelques « bâtons de maréchal » qu’on leur octroie dans des conseils d’administration ou dans des instances plus ou moins politico-sociales ne sont pas à la hauteur en terme d’adrénaline, mais ils essaient de s’en contenter.
Ils se sacrifient pour rien car la société ne leur en est même pas reconnaissante. L’inconscience est partagée à la fois par les élites et par la société. Il n’y a donc plus de sens supérieur au sacrifice. Il n’y a plus qu’une satisfaction personnelle de valorisation de soi par le plaisir, l’action, le matériel et la position sociale. C’est pauvre…
Désormais, le sacrifice s’opère dans l’inconscience générale et perd tout son sens et sa valeur. Il est loin le temps où les élites économiques se sacrifiaient consciemment pour la survie de la cité, le temps où elles sauvaient des vies et où on leur érigeait des statues pour que l’histoire s’en souvienne à travers les siècles.
Et pourtant, il ne leur manque pas grand-chose…