Je pense que nous avons tous, à un moment ou à un autre, été entraîné dans une conversation animée, impliquant des convictions profondément ancrées en nous, face à des personnes aux convictions différentes.
Les exemples les plus parlants sont les conversations sur des sujets politiques, religieux ou spirituels. Mais cela vaut aussi pour des conversations professionnelles, quand on est le sujet de critiques considérées comme injustifiée, de pressions hiérarchiques, de confrontations conflictuelles.
Dans ces cas-là, il est souvent difficile de s’empêcher d’argumenter pour contrer chaque affirmation de l’interlocuteur, de ne pas perdre de terrain en laissant passer un élément que l’on peut, ou croit pouvoir réfuter.
En complément de mon précédent post : « L’écoute active : améliorer sa qualité d’écoute pour éviter les conflits », je voudrais attirer votre attention sur les vertus du silence dans ce type de situations.
Je me souviens d’une expérience, dans ma jeunesse, assez symptomatique.
Jeune diplômé, je devais faire mon service militaire et, moyennement attiré par la vie militaire, je recherchais un poste de VSNE (Volontaire du Service National en Entreprise) dans une entreprise.
Dans ce but, j’avais contacté un certain nombre de grands groupes internationaux, dont L’Oréal. Pour ce dernier, j’avais écrit un courrier dans lequel je disais être à la recherche d’un poste, mais sans préciser que c’était au titre de VSNE.
Je fus convoqué à un premier entretien avec le « chef du recrutement » des jeunes diplômés. Dès que l’entretien a commencé, j’ai précisé mon objectif réel, ce qui a eu l’effet d’une bombe dans la tête de mon interlocuteur.
Ce dernier a passé la demi-heure suivante à me passer un savon monumental sur un seul ton : celui de l’engueulade en règle.
J’ai laissé passer l’orage, suis resté en silence sans trop me désarçonner, tant la réaction me paraissait excessive.
Au bout de la demi-heure en question, mon interlocuteur a arrêté de m’invectiver, a marqué un temps de silence et m’a dit : « mais vous ne dites rien, vous ne vous défendez pas. D’autres auraient bondi, auraient contourné le bureau pour me prendre à partie… et vous… rien. Pourquoi ne dites-vous rien ? ».
Je lui ai simplement répondu : « j’estime que ce n’était pas le moment. Vous êtes visiblement énervé et en colère. Vous ne m’auriez pas écouté et j’attends simplement que vous soyez en mesure de m’entendre. »
Cette remarque (même si elle peut paraître impertinente pour certains) l’a complètement calmé. La suite de l’entretien s’est passé on ne peut mieux et nous nous sommes quitté avec une chaude poignée de main emprunte d’un respect mutuel (on peut ressentir beaucoup de choses dans une poignée de main, je ne vous apprends rien).
Je vous raconte cette petite anecdote pour illustrer certaines des vertus du silence dans une confrontation ou un conflit.
Le grand intérêt du silence, pour soi, est de faire en sorte de connaitre, préalablement à toute contre argumentation, l’ensemble des arguments de l’autre et d’avoir une vision complète de sa position.
Le silence est un temps d’écoute.
C’est l’application pacifiste de la fameuse réplique du comte d’Anteroche au lord Charles Ilay durant la bataille de Fontenoy en 1745 : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! »
Le silence, c’est laisser l’autre tirer le premier, mais, à l’abri de vos valeurs de vie, vous n’êtes pas vulnérable à cette première rafale.
Et pour l’autre,
Le silence est un espace d’expression pour l’interlocuteur : il veut donner son point de vue, c’est primordial pour lui à ce moment-là et vous avez avantage à ce qu’il le fasse. Pas à le contredire.
Le silence laisse à l’interlocuteur un temps de défoulement pendant lequel il n’est réceptif à rien. Il est dans le yang, dans l’affirmation de son avis et peu en capacité d’écoute, de réception, de yin.
Le silence est donc un temps que vous lui accordez pour le laisser se décharger. Ayant pu exprimer pleinement son point de vue, il se sentira mieux après et vous y avez un intérêt. Il vous écoutera mieux ensuite.
Confronté à votre silence, votre interlocuteur ne bénéficie d’aucun appui pour nourrir son argumentation, d’aucune information lui permettant d’être renseigné sur les effets de son discours. Il est alors dans le doute concernant ce qui se passe dans votre tête.
En lui proposant une réaction de silence, vous privez votre interlocuteur de repères. Il se retrouve face à une forme de néant, sans rien à quoi s’accrocher. Vous n’êtes pas dans l’agression, mais dans le porte-à-faux.
Et ce porte-à-faux peut lui être salutaire car, soit ce sera l’occasion, pour lui, de remettre en question ses propres affirmations et d’emprunter une voie plus consensuelle, soit il génèrera une attention plus soutenue de sa part lorsque vous romprez votre silence, par le fait que votre interlocuteur sera en recherche des repères qui lui manquaient.
Vous aurez, alors, l’opportunité de générer plus facilement de l’unité.
Le silence est donc une arme pacifique mais puissante dans un conflit. N’hésitez pas à vous en servir. Elle ne génère pas de séparation, mais une prise de recul pour tout le monde.
Pendant votre silence, concentrez-vous sur l’objectif de la discussion et pas sur le fait d’avoir raison ou non. N’oubliez pas que « avoir raison » n’est pas un objectif d’unité. Défendre vos valeurs peut (doit… ?) en être un, mais pas « avoir raison ».
Très bonne anecdote. C'est aussi une technique que l'on utilise comme formateur lorsque les stagiaires sont bruyants.
Au bout d'un moment ils se demandent où est le formateur. Tout le monde se tait et vous regarde. On peut reprendre le cours.
Il m'est arrivé la même mésaventure avec un agent d'administration qui sans explications vociférait sur mon dossier soi-disant incomplet . Il beuglait tout en parcourant les documents pour au bout de quelques minutes, alors que j'étais resté silencieux, me dire que tout était parfait et que je recevrai une réponse positive dans les jours suivants. Je l'ai remercié et salué avant de partir.
What else ! comme dirait l'autre.
Merci pour l'article.