Après les quatre premiers posts sur l’incapacité à accepter d’avoir tort, sur la critique systématique, sur l’ostracisme et sur l’agressivité, voici le cinquième comportement perdant : la victimisation.
Se victimiser, même si je ne suis pas certain que ce verbe existe en français, est employé ici dans le sens d’une personne qui se considère assez systématiquement comme la victime des événements qu’elle perçoit comme négatifs.
Tout le monde a la perception intuitive du fait qu’un comportement de victimisation est un comportement perdant par excellence. Toutefois, ma vision personnelle de la chose est un peu plus nuancée.
En effet, si, à de nombreux égards, la victimisation reste un comportement restreignant les possibilités d’action d’une personne et, ainsi, l’empêche de construire la réalité dont elle rêve, elle peut, au sein d’un groupe, avoir une utilité réelle en terme de cohésion et donc d’efficacité.
À ce sujet, je risque de n’évoquer que des éléments qui vous paraîtront relever du lieu commun, et je vous prie de m’en excuser par avance, mais ces quelques lignes pourraient tout de même avoir un intérêt pour des personnes sujettes au type de comportement en question.
La personne qui se victimise part du principe qu’un événement négatif qui survient est, en fait, un diktat d’une réalité externe, dont les causes lui sont forcément étrangères, et contre lequel elle ne peut généralement pas grand-chose. En apparaissant comme une victime de cette réalité, elle cherchera à provoquer l’empathie, la compassion et ainsi la reconnaissance de son existence par l’autre.
A mon sens, la victimisation procède moins d’un refus de réaction face à l’adversité que d’un manque énorme de confiance en soi.
Une fois cela dit, la solution est, au moins en partie, dans les mains des psys.
Mais pourquoi ce mécanisme de victimisation est-il perdant ?
Le maître mot est : subir
Le premier écueil de ce comportement est la négation de sa responsabilité personnelle. Si je suis victime d’un événement extérieur, c’est que, le monde étant ce qu’il est, je me suis trouvé au mauvais endroit au mauvais moment, ou entouré de personnes malveillantes. Il n’y a rien à attendre de plus de la situation que je vis.
Dans ces conditions, comment réussir à maîtriser une situation ? Si les événements et les autres sont, par nature, plus forts que moi, je n’ai pas besoin d’anticiper, de faire de lien de cause à effet entre mon comportement et ce qui m’arrive. Je peux juste me plaindre que cela me soit arrivé.
Il m’est donc simplement impossible de construire mon bonheur, que ce soit dans les domaines personnels ou professionnels, que celui-ci s’exprime en matière affective ou en matière d’efficacité.
Quand quelqu’un de responsable s’interroge pour savoir quels siens comportements ont pu générer un événement défavorable, une victime ne se pose même pas ce genre de question. Pour elle, la responsabilité est forcément aux autres, à l’extérieur d'elle-même.
La conséquence de ce phénomène est l’incapacité à évoluer. Une personne consciente de ses responsabilités, en cas d’événement négatif, va analyser ledit événement, faire une relation (même partielle) entre ce dernier et ses comportements, et enfin, en tirera un apprentissage qui lui permettra de ne pas reproduire une éventuelle erreur. Elle évoluera, progressera, se perfectionnera.
Une victime ne pourra qu’espérer que la vie lui épargne, à l’avenir, la mauvaise expérience qu’elle a vécue. Il n’y aura pas d’apprentissage et les mêmes comportements engendrant les mêmes conséquences, elle se demandera toute sa vie pourquoi elle doit subir les mêmes déconvenues de façon répétitive.
En cela, ce travers constitue, selon moi, un handicap majeur dans une vie humaine et, si la personne en a conscience, justifierait un investissement personnel prioritaire sur tout autre sujet pour y remédier.
L’autre conséquence que le comportement de victimisation induit sur la vie d’une personne est sa dépendance vis-à-vis d’autrui. Ayant constamment besoin d’être rassurée, admirée, aimée, elle va donc dépendre du comportement des autres à son égard. Dans un monde où la bienveillance n’est pas toujours au rendez-vous (et c’est un euphémisme), elle risque fort d’aller de déconvenue en déconvenue. D’être tout simplement malheureuse.
D’autant plus qu’elle fait peser un poids, une exigence sur son entourage qui doit, sans cesse, lui témoigner affection, considération ou tout autre comportement de ce genre. Pour les autres, c’est fatiguant… D’où une lassitude qui peut s’installer et dégénérer vers le rejet. Et là, le caractère perdant de la victimisation atteint son paroxysme avec l’isolement, la solitude et l’impossibilité de s’en sortir.
En tant que coach de vie, j’ai eu des clients affectés par ce genre de travers et j’ai remarqué qu’une des stratégies qu’ils emploient pour masquer un comportement de victimisation était… la mythomanie (le terme est peut-être un peu fort, mais…). C’est-à-dire que la personne va inventer une aventure, en grande partie fictive, qui la fera paraître non pas comme victime, mais comme extrêmement courageuse dans un environnement qui se déchaîne contre elle. Le complot supposé est souvent de la partie. Le but étant de générer de l’empathie, de l’admiration chez l’autre pour cette « victime admirable ».
Ce travestissement d’une certaine réalité pour s’en créer une plus favorable démontre des qualités d’imagination souvent importantes. Le problème est que cette imagination est utilisée pour fuir sa responsabilité et non l’affronter.
Le caractère perdant de ce comportement vient donc de la non-responsabilisation, de l’impossible évolution, de la création d’une réalité personnelle non cohérente avec celle des autres, d’où un manque de fiabilité qui évolue souvent vers un isolement, alors même que la personne à désespérément besoin des autres pour son propre équilibre.
C’est donc un comportement qui peut vite mener à l’enfer intérieur pour la personne elle-même.
Mais pour un groupe ? N’y aurait-il pas quelque avantage à retirer de compter dans ses rangs quelqu’un ayant des comportements de victimisation ?
Dans une entreprise managée à l’ancienne, dans laquelle la performance collective n’est que la somme des performances individuelles, il est clair qu’il n’y a que peu de place pour quelqu’un qui se singularise par ses comportements de victimisation. Ce dernier sera, selon toute vraisemblance, en déficit d’efficacité par l’absence de maîtrise dont il fera preuve sur son environnement.
En revanche, disposer d’une personne ayant ce genre de comportement au sein d’une équipe peut se révéler, sous certaines conditions, être un facteur extrêmement positif pour le groupe.
La première condition, indispensable, est que l’équipe dispose d’un manager solide dans sa personnalité et ayant compris les capacités inouïes que recèle l’intégration de la différence.
C’est quoi l’intégration de la différence ?
C’est d’abord un exercice d’humilité par le fait d’accepter que la différence nous apportera toujours quelque chose de supplémentaire. Si c’est différent de moi, dans la limite des valeurs, cela me complète et m’enrichit forcément.
C’est ensuite un exercice de tolérance pour accepter d’inclure, dans un groupe disposant d’une tâche précise, quelqu’un qui ne rivalisera sans doute jamais avec les meilleurs réalisateurs de cette tâche.
Puis, c’est un exercice d’empathie pour considérer la personne différente comme partie prenante indéfectible du groupe et ne pas envisager les choses différemment.
C’est enfin un exercice de conscience collective et d’unité pour faire en sorte que le groupe constate que, même s’il ne comprend ni pourquoi, ni comment, ses résultats s’améliorent dans un contexte où la logique primaire semble battue en brèche.
La deuxième condition est que le manager sache exprimer un discours, une communication, audible par ses équipes, mais qui n’est pas forcément celui développé dans les quatre paragraphes précédents.
Selon mon expérience, s’il y a peu de managers ayant travaillé sur leurs valeurs, la proportion n’est pas plus importante parmi les collaborateurs. La communication du manager doit donc être suffisamment pragmatique pour mettre en exergue les qualités de la personne qui se victimise (et elle en a), quitte à exprimer ce qu’elle lui apporte à lui-même (humilité, encore…).
Ensuite, en reconnaissant et faisant reconnaître la différence de cette personne, il doit savoir inciter son équipe à créer un environnement protecteur et bienveillant autour d’elle, de façon à ce qu’elle puisse exprimer au mieux toutes ses qualités.
Le rôle de la personne se considérant comme victime devient alors celui de catalyseur du groupe en incarnant la raison de comportements positifs réciproques. Elle se sent alors intégrée, respectée et pourra donner le meilleur d’elle-même. Il y aura vraisemblablement toujours quelques tiraillements, mais l’équilibre n’est pas l’absence de tiraillement, c’est une succession de tiraillements contraires…
Ces affirmations ne sont pas du « bisounours ». Pour les avoir réellement appliquées, je peux affirmer que c’est du concentré d’efficacité.
Il n’en demeure pas moins que se victimiser, pour une personne donnée, reste un comportement perdant qui a peu de chances de la mener au bonheur.
Alors, que faire contre ?
Pour être efficace, une action contre le phénomène de victimisation permanente doit s’inscrire dans la durée.
En tant que coach de vie, quand je suis confronté à une personne ayant ce problème, je mets en place un travail axé sur deux démarches complémentaires.
D’une part j’essaie de réorienter son imagination. Elle l’exerçait jusque-là pour trouver de bonnes raisons expliquant sa non-responsabilité, je l’incite à trouver des possibilités, une latitude, pour exercer sa responsabilité. Le discours ressemble à : « j’ai bien compris que vous n’avez pas de responsabilité dans ce qui vous arrive, mais que pourriez-vous imaginer, si vous en étiez au moins partiellement responsable, pour solutionner le problème ».
Ce moyen constitue plus une recette pour permettre à la personne de sortir provisoirement de sa logique qu’une réelle solution au problème de fond. Répétée avec assiduité, cette recette peut néanmoins infléchir durablement les réflexes de la personne et l’inciter à se poser plus franchement la question de sa responsabilité propre.
D’autre part, j’effectue, avec elle, un travail en douceur (car le manque de confiance en soi dénote une fragilité qu’il est inefficace de violenter) sur ses valeurs de vie en l’incitant à réfléchir à des valeurs de « combat » comme le courage, le choix ou l’estime de soi par exemple. En leur donnant un sens par rapport à sa vie et à ses aspirations, on arrive à des résultats surprenants. La personne se focalisant davantage sur ses objectifs et les moyens d’y parvenir, elle oublie progressivement son besoin d’être une victime.
article vraiment plein de justesse, j'ai été amenée à assister aussi à une cohésion familiale construite autour d'une "victime", ou plutôt, grâce à la victimisation très mythomane d'un de ses membres comme si le lien unissant les membres de cette famille ne doit finalement son existence qu'à la prise en charge de la réparation du sort "dramatique" de cette personne; tous se retrouvent autour d'elle avec une raison de fonctionner dans l'unité et dans une affection sommes toutes corrompue par la non authenticité , les mensonges cultivés ensemble et la non responsabilité de tous: assez interpellant comme choix de vie !